• Aujourd'hui, dans le répertoire « citations », l'équipe rédactionnelle du Passe Partout a décidé de faire parler pour vous Franz Kafka, admirable auteur de... euh... enfin plein de trucs, quoi (kesk'on devient chiant quand on parle culture).

    Alors donc, Franz, appelons-le ainsi, puisque nous allons entrer directement dans son intimité, tenait un journal. Qu'est-ce qu'un journal, me direz-vous ? Et là, je m'adresse aux jeunes générations : c'est une sorte de blog, mais au lieu de taper sur un clavier d'ordinateur, on écrivait sur du papier. Oui, du papier. C'est étrange, je sais, mais c'est comme ça. Non, pas du papier comme dans les toilettes. Un truc plus solide, blanc, rectangulaire en général, et parfois assemblé en pages reliées. Oui, c'est ça, voilà : avant le minitel - je vois qu'il y a en qui connaissent l'histoire.

    Bon, donc : Franz écrivait des trucs pour lui, dans son journal, parce qu'il voulait noter ce qui lui arrivait dans sa vie dans le but de ne pas oublier, sans doute, mais peut-être aussi dans le but de se connaître, afin de mieux se déconstruire. Franz appartenait à cette race d'hommes dont la volonté était tendue vers un but mystérieux : la création littéraire. Il fallait qu'il fasse passer quelque chose de lui dans ce qu'il allait écrire, tout en inventant quelque chose de profondément neuf.

    Il fallait donc qu'il se dissolve pour se recomposer d'une autre façon dans son œuvre. Son journal est le livre de bord où il a reporté, enregistré et annoté les micro-événements qui ont guidé le cours de cette étrange alchimie.

    Ainsi, Franz écrivait le 26 mars 1912 (mon dieu, déjà ! Comme le temps passe vite !) :

    « Surtout ne pas surestimer ce que j'ai écrit, cela me fermerait l'accès de ce que j'ai à écrire. »

    Là, on sent le type qui a la tête dans le guidon et qui pédale dans la montée. Tous ceux qui, en tenant une plume portent leur croix, sauront de quoi il parle : le tout, c'est d'atteindre le col pour se laisser glisser dans la descente. Une bien belle citation.


    Plus tragique, celle-là, du 2 août 1914 :

    « L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. - Après-midi, piscine. »

    C'est ma préférée. On sent déjà poindre l'insoutenable légèreté de l'être d'un Kundera (putaiiiiin, j'me la pète grave) (le problème avec mon vernis de culture, c'est qu'il s'écaille au premier coup d'ongle). Bref, il y en a qui vont à la guerre en musique, lui va à la piscine.


    Enfin, une dernière citation qui, je l'espère, donnera aux plus jeunes d'entre nous quelques éléments sérieux pour assembler à la hâte une répartie foudroyante, en cas d'engueulade familiale :

    « Les parents qui attendent de la reconnaissance de leurs enfants (il y en a même qui l'exigent) sont comme ces usuriers qui risquent volontiers le capital pour toucher les intérêts. »

    Il a écrit cela le 12 novembre 1914. Même si la citation a beaucoup servi depuis, elle est inusable. Si, tel le fier Tanguy, vous êtes amenés à réclamer en justice une pension alimentaire à vos parents, n'hésitez pas à pousser l'ironie jusqu'à son point ultime en déclamant cette citation en pleine audience. Vous ne prendrez pas le moindre risque, car le code civil lui fait dire exactement le contraire, en inversant les rôles.

    Vous éprouverez alors ce plaisir rare et sublime de ne jamais parvenir à desservir votre propre cause, même en étant franchement odieux.



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