La non publication par l'INSEE des chiffres du chômage alimente une polémique qui nous renvoie vers trois sortes de problèmes.
Un problème traditionnel : à la veille des élections, le soupçon de manipulation des chiffres officiels est un grand classique du répertoire politique français. Rien de bien méchant dirons-nous, tout juste peut être cette vague angoisse qui nous étreint lorsque que nous percevons qu'il existe une incertitude de l'ordre de 0,7 points, correspondant à environ à 200.000 personnes, dans nos statistiques.
Mais cela nous empêche t'il vraiment de dormir ?
Un problème conjoncturel : depuis quelques années, diverses règles techniques de comptabilisation des chômeurs ont changé, les contrôles par les organismes sociaux ont évolué, ce qui amènent ces derniers à rectifier leurs propres chiffres, enfin, des études ou des enquêtes, ou des mouvements d'opinion ont montré que l'incidence des dé-incriptions accidentelles de chômeurs étaient significatives, tout en étant difficiles à mesurer.
L'ensemble de ces phénomènes s'est télescopés, ce a qui conduit l'INSEE à se déclarer incapable en l'état de publier les chiffres officiels du chômage en France pour l'année 2006.
Manipulations, ou légitime hésitation méthodologique de statisticiens scrupuleux ? Nul ne le sait, ce qui n'empêche nullement la polémique d'enfler alors que les fondamentaux économiques sont connus et peu discutés. Cela nous amène au troisième problème.
Celui-là est historique : dans la France de demain, le chômage va baisser (oui, bonne nouvelle !) mais - et il y a un gros mais - il restera structurellement à un niveau sans doute assez élevé, sans que cette baisse relative du chômage ne traduise une situation de plein emploi.
Voilà encore un beau paradoxe !
Sur le chômage de demain, on sait plusieurs choses : il va baisser, il n'y aura pas situation de plein emploi et la baisse ne traduira pas une augmentation des créations d'emplois. Et pourtant ces certitudes sont discutables.
1) La baisse du chômage sera imputable à une diminution de la population active en raison des départs en retraite des actifs dits « pappy boumer », c'est à dire de ceux qui sont nés lors du « baby boum » qui a suivi la Seconde Guerre Mondiale. C'est donc une diminution « par le haut » de la population active. Le fait semble inéluctable tant il est impossible pour l'être humain de ne pas vieillir. On le considérera donc comme raisonnablement établi.
Pourtant, il est des données économiques que l'on ne maîtrise pas tout à fait : c'est l'augmentation « par le bas » de la population active, en raison de l'arrivée des générations plus jeunes qui pourraient décider, à l'avenir, d'entrer sur le marché du travail plus tôt qu'on ne le fait aujourd'hui. C'est encore une augmentation de la population active « par le milieu » avec l'arrivée sur le marché du travail français d'une population immigrée dont on ne sait pas comment gérer les flux. C'est enfin une inconnue sur l'âge futur de la retraite, qui modère d'ailleurs le constat qui a été fait plus haut en ce qui concerne les seniors.
En conclusion : la population active va diminuer, cela semble certain, mais on en n'est pas sûr...
2) Triste prévision : pas de plein emploi pour demain ! Et pourtant, situation de pénurie de main d'œuvre ! Pour expliquer le paradoxe, l'on soutient que le système éducatif français ne forme pas aujourd'hui aux bons métiers de demain. On affirme aussi que le marché du travail n'est pas assez « fluide », ou « flexible », c'est à dire qu'en termes économiques la ressources - le travailleur - n'est pas correctement affectée à son emploi - le poste de travail. En clair, il existe des postes qui ne sont pas pourvus et des gens qui ne trouvent pas de travail. Double perte, donc.
Clairement, le phénomène existe aujourd'hui. Ce qui est inquiétant, c'est qu'on le voit perdurer à l'avenir, ce qui renseigne sur le degré de pessimisme ambiant : objectivement, il est tout à fait possible d'imaginer que la société française puisse réformer son système d'éducation et rendre plus fluide son marché du travail. Pourtant, ce n'est pas cette hypothèse qui est retenue.
L'erreur à ne pas commettre : considérer cette donnée comme économique, alors qu'elle relève de la psychologie. Si nous fournissons l'effort exigé, alors les deux indicateurs concernés (l'adéquation de la formation à l'emploi et la fluidité du marché du travail) reviendront dans le vert. Sinon, ils resteront dans le rouge et, effectivement, nous aurons la situation qui est actuellement programmée pour être celle de l'avenir.
3) Pas assez de créations d'emplois : le chômage, nous disent les spécialistes, baisse mais pas en raison des créations d'emplois, qui sont en elles-mêmes insuffisantes. La révision à la hausse des chiffres du chômage leur donnerait raison au-delà des pires prévisions.
Là, le problème est réellement économique et il n'est pas psychologique. C'est encore l'erreur à ne pas commettre.
La France connaît un réel problème de sous activité qui n'a rien à voir avec l'intensité de l'esprit d'entreprise ou le goût pour le travail, par exemple, qui restent vivace chez les Français. Inutile de reprocher aux Français de ne pas être assez américains ou allemands, ou anglais, ou danois, ou que sais-je encore. Tous ces discours sont superflus. Le problème n'est pas là.
C'est plutôt un problème de taille critique et d'organisation économique de la société française par rapport à son environnement : la France est à la fois trop petite et trop grosse par rapport à ses concurrents, ce qui la condamne à l'efficacité économique globale.
Au regard de ces trois séries de données, le moins que l'on puisse dire est que la polémique sur les chiffres du chômage est non seulement stérile, mais presque puérile. Car, l'air de rien, il y a quand même un certain nombre d'inconnues dans cette histoire qui reste à venir et nous n'avons pas intérêt à nous planter dans les choix que nous serons amenés à opérer : que faire avec l'immigration ? La choisir, comme le postule Nicolas Sarkozy ? La refuser, comme le veux Le Pen ? Faire plus ou moins avec sans rien organiser de précis, comme ne le dit pas Ségolène Royal ? Que faire avec l'éducation nationale ? La réformer ? Attendre qu'elle se casse la figure toute seule ? Et le marché du travail ? Etc.
Or, pour bien choisir, il faut prévoir. Mais comment prévoir à moyen terme avec un institut national qui n'est même pas foutu de nous dire ce qui s'est passé sur l'année écoulée ?
Tschok, ravie de ce retour ;-)